Atoffe
Atelier mensuel, Paris, Marseille et zoom, 2022-2023
Elles frangent. Elles triturent. Elles frangent, elles triturent, froissent et défroissent, plient, déplient et déploient tout ce qu’on leur lit. Une petite sizaine de bergeronnettes agiles, une nichée sans génétique ni préconçu, joyeuse, ardente et frénétique, qu’on a lancé dans une danse des étoffes et de la page qu’on voudrait voir s’aviver l’une l’autre.
La robe de miel de Jean-Philippe Toussaint ? Un édredonnement à la Ponge ? Les kg de barda du soldat Echenoz ? La visite du Dressing de Jane Sautière ? Elles ont déjà sorti leur malles-cabines et des chaussures à semelles épaisses, prêtes au voyage comme au viron dans la pièce. Elles hument la consigne d’écriture, la chipotent, la chatouillent, renâclent toujours un peu comme le dromadaire avant la méharée.
Sans prévenir, elles oublient soudain les séductions gustatives qui fondent au milieu de la table et la bouilloire qui chantera en solo, et amuïssent l’espace. Quand on parvient à les assembler de nouveau, en émergent une Rosemonde, des nuées de perles mousseuses, un dress code qui décode, et cet étrange homme-hareng saur dégoulinant de tout son sec.
Quels auteurs, quelles manœuvres et rebonds incalculables feront vider leur sac aux personnages et jouer leur rôle moteur aux tissus et habits, offrant au texte la teinte, le drapé et le rythme qui serviront son intention génératrice ? Faire évoluer les phrases et les phrasés, inviter au déroulé d’un lé trop vite tendu et au soin de l’élan qui enturbanne toutes les épaules après sa lecture, contourner les peurs et étouffer la vieille corne de brume du manque - d’idée, de vocabulaire, de connaissances – qu’elles actionnent à tour de rôle, la bourrer d’une épaisse et indéchirable laine, voilà ce qui occupera le métier à tisser de Lignes vives, dans l’entre-deux et l’impatience de la prochaine rencontre.
Image : Edgar Degas, Chez la modiste, 1885