Photo : Izis Bidermanas, 1959

L'atelier d'écriture est un espace à part, hors du temps, qui ouvre des portes. Rythmé comme une danse à trois temps – inspiration, écriture, partage – il laisse libre cours à la créativité et offre l’occasion de se laisser lire.

A côté de l’écriture qui émerge, d’autres choses se créent : des liens, une confiance en l’autre, et l’émerveillement que provoquent la surprise et la découverte.

C’est un lieu d’expérimentation, un travail en devenir. Il n’est pas question de chercher le mot parfait, mais de se lancer, de faire, de partager avec d’autres « l’audace contagieuse » d’écrire. Et, grâce au plaisir éprouvé à la découverte accompagnée d'œuvres contemporaines, de redonner matière et saveur singulières aux mots que l’on choisira.


Au cœur de l'atelier

Ils sont là.

Ils sont arrivés en deux vagues, celle du matin, celle du soir, dans le grand lieu du grand groupe non loin de la grande gare inhabituellement silencieuse. Ils ont marché, covoituré, décalé, loué voiture, ils sont là. Hors leur appartenance au grand groupe, ils savent peu ou rien les uns des autres.

 - Donc tu travailles au siège avec … ah, comment il s’appelle déjà ? L’immersion immédiate est retardée. Un sas, un rivage s’imposent, le temps de se situer sur le grand arbre à coup de sigles et de noms de lieux. Une lassitude, grande, grande, en profite pour botteler le tour de table, celle des écritures traînées jusqu’au dernier moment, achevées par copier-coller modèle Grand Pensum.

Installés, équipés, ils peuvent cette fois partir sous la pluie. Une pluie de mots dits très vite à l’oreille de l’autre sur une invitation bancale : « moi et l’écriture ». Leurs yeux parlent les premiers : un unisson qu’on pourrait baptiser « stupeur », ou « est-il encore temps de faire demi-tour ? » Mais ils marchent, jettent un œil furtif au portable, se rasseyent et écrivent un texte né de la première pluie. Ils ont chacun reçu un joker pour les trois jours : ne pas lire sans avoir à se justifier.

Où aura filé la stupeur ? Nul n’a le temps de chercher, car les voix se raclent, les tons et les débits se cherchent, et les textes s’élèvent dans la nef vitrée. Qu’ils lâchent timidement la rampe du compte-rendu ou se jettent dans un tango avec balai, ils sont là.  

Et l’atelier, pli à pli, de se déplier. D’avancer sur la crête ventée qu’il s’est dessinée : décaler les regards, motiver l’essai, conforter et aviver un rapport personnel à la langue.

Un pas trop grand, et la cordée glisse. Un instant trop long sur place, elle s’enfonce sans bruit.

Mais eux aussi, ils sont là, les auteurs-pisteurs. Hélène Gaudy implante un camp de base sur la banquise. Dans sa « menthe des eaux lentes » faire attention à chaque son, à chaque nuance. Marie-Hélène Lafon fait joncher les bottes, bruire le journal, filer les nuages puis le chantier ou l’opération de chacun. Quand viendra son tour Perec déménagera tout le monde à coup d’infinitifs car Célia Houdart patiente, pilote d’un vol vers le futur. Entre deux auteurs une image sans légende est apparue, un étrange objet à six roues, à partir duquel chacun donne à lire l’univers de son choix.

 - Le voyez-vous ? Le sentez-vous? Avez-vous envie d’en savoir plus, de vous y aventurer, dans cet univers ?

Itératives, obstinées, pourfendeuses de crayons rouges rémanents, les questions incitent chacun à observer ses mouvements intérieurs à la réception du texte qui s’avance. A contourner le jugement et la comparaison dépréciative. A escalader le rocher qui barre l’horizon.


Les portables ont disparu. Les jokers aussi. Quelques pauses rapides, des débats intenses, des échanges bibliographiques et le générique de fin est lancé. Un « à suivre » pour les écritures de chacun, espérons-nous.